lundi 27 janvier 2014

CHEZ MADAME ÉDITH


La grisaille de novembre ne fait qu'accroître la tristesse de la rue qui coule vers le fleuve. Les bâtisses à la peinture écaillée, toutes semblables, étalent bien la pauvreté du quartier et le triste ennui de la communauté. Les murs sombres et humides des maisons aux portes closes et aux fenêtres embuées s'endorment sous l'hiver naissant. Les vitrines embourbées des magasins n'invitent pas le regard. Les gens marchent les yeux baissés. Ici, on ne fait que passer. Seules les clochettes suspendues aux portes des boutiques quémandent dans le vent l'attention des passants.


Un homme grand et gris, au regard évasif, seul parmi la masse anonyme et pressée flâne sous la grisaille de la pluie. Cet homme fluet, au chapeau mou, au pas traînant, à l'imper usé comme sa vie, dérive dans un relent de mélancolie. Imprégné d'un passé qui ne lui appartient plus, captif de ce seul moment présent et ennuyeux, il erre sans rêve, sans raison d'être.


La clochette de l'antiquaire, au son plus mélodieux que ses voisines, attire son attention, puis son regard, puis ses pas. Figé devant la porte, il ne peut résister à l'envoutement qui l'enveloppe en percevant cette dame sans âge, assise au comptoir, figée dans son décor, tant par sa vieillesse poussiéreuse que par la rigidité de ses traits. D'un geste lent, il pousse la porte ou l'on peut lire

CHEZ MADAME ÉDITH et il entre.


Des objets hétéroclites émanent de tout lieux et de tout âges, couverts d'une même poussière, dormant dans le même silence, témoignent d'un passé ramassé ici au fil des ans. Des poupées de dentelles s'appuient sur des jouets de bois grossièrement finis; des fourrures, des cuirs, des cotons s'empilent sur des bureaux usés; des armes à feu provoquent des icones sacrées. Le temps, arrêté, suspendu aux gestes lents du visiteur, semble se rire de l'histoire et des saisons qui passent.


MAIS PASSENT-ELLES VRAIMENT ?


Édith, dans sa fixité, semble dormir comme ses trésors. Un cube transparent, aux mille facettes, planté sur le comptoir, capte son œil, son souffle, son être tout entier. Cube intru, dérangeant l'immobilité imperturbable de la pièce par ses reflets colorés dansant sur les murs et les ombres de la boutique. Cube invitant, complice accompagnant les pas feutrés et solennels de cet homme. Cet homme aux déplacements si lents qu'il soulève à peine quelques poussières ... Il avance vers le comptoir, le cube, la dame.

C'est avec révérence qu'il baisse le buste vers elle. C'est avec vénération qu'il cherche son regard. C'est avec adoration qu'il trouve ses yeux. C'est avec passion qu'il suit ce regard captif.

Combien? Combien? Combien? Ce mot tourne dans sa tête, mais il ne peut se résoudre à formuler ce sacrilège qui sûrement, romprait le charme. Figé à cette dame qui maintenant se vautre dans le cube, étourdit par les couleurs qui dansent autour d'eux, aspiré par une sérénité qui emplit déjà les lieux, il ne peut qu'entendre raisonner un filet de voix, un échos ferme, une invite ennivrante qui lui assure que ce cube, cet instant sublime, est dorénavant sien pour toujours …

POUR L'ÉTERNITÉ

Se cramponnant à cet instant magique, il prend place au côté d'Édith. Toutes ses peines, ses ennuis, ses solitudes, ses deuils passés s'estompent dans ce geste fatidique. La poussière qu'il a soulevé en terminant son geste sacré retombe sur son corps désormais immoblile, emprisonné.


Lorsque la petite-fille de madame Édith vient se rendre compte de son leg, elle laisse tout aux encanteurs, sauf un petit cube tranparent dans lequel on peut admirer deux p'tits vieux sans âge qui n'en finissent pas de s'aimer ...




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