mercredi 22 janvier 2014

la princesse au marais charmant




À peine avais-je émis mes premiers balbutiements que mes compagnes de jeux maîtrisaient déjà le discours.  Les deux pieds toujours dans la même bottine, je suais sur les exploits acrobatiques auxquels on essayait de m'apprivoiser, mais je demeurais farouche.  

En plus de la langue fourchue et des deux pieds ne sachant danser, j'avais des doigts !  Doigts qui s'accrochaient, s'écrasaient partout, tellement que tout ce qu'ils touchaient étaient irrévocablement voué à la ruine.  J'avoue que quelquefois, ils servaient ces doigts encombrants, ils frottaient, grattaient, envenimaient mes bras, siège social de mon ecxéma !

J'étais aussi myope, donc toujours perdue !  Comment aurais-je pû me retrouver à deux rues de chez-moi, quand je n'y voyais rien de l'autre côté du chemin.

Vraiment, j'avais belle allure !  Surtout les jours d'été où la fièvre des foins enflait mes yeux baignés de larmes et me faisait lever le nez à chacun de mes reniflements, affublant d'une grimace disgracieuse mon visage d'enfant !


***


Maintenant, à l'aube de mes soixante ans, j'apprivoise le verbe et affronte les difficultés de la langue française comme si la vie n'était que mots. Je me défends très bien entre mes rôles polyvalents d'infirmière, commissionnaire, éducatrice, comptable, cuisinière, mère, et surtout, surtout de femme.  Je demeure farouche aux conventions mais je reste fidèle aux traditions qui enracine le coeur et stabilise la barque du pêcheur.


Mes doigts, aujourd'hui devenus agiles et vifs peuvent aussi bien soigner une plaie, faire des filets de dorés attendus patiemment au bord de la rivière ou courir sur un clavier.  Ils ne grattent et n'empoisonnent plus mes bras guéris de leur ecxéma maintenant disparu mais ils tissent au fil des jours une paix qui s'étend jusqu'à l'horizon. Je le vois, cet horizon, même  dans les nuits noires, sans lune.  Car des nuits noires, des jours gris, il y en aura encore, ça fait parti du contrat qu'est la vie.


Vraiment, à force de patience et de persévérance, j'ai réussi à me former une belle allure !  J'ai sué et pleuré dans les rejets d'antan, mais en  m'acharnant avec volonté et ténacité, je m'en suis sortie.  Je marche aujourd'hui dans ce soleil qui rayonne sur mon visage, même les jours gris de pluie.  Je marche, non je danse,  dans ce soleil qui éblouit ma grimace d'adulte épanoui.  


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